Dans les plaines détrempées de Fizi dans la province du Sud Kivu, les pluies ont ramené les moustiques, et les combats ont ramené la peur.
À Baraka, Lweba, Mulongwe ou Bibokoboko, les déplacés affluent par milliers, épuisés par la marche, le froid, les nuits sans abri. Face à l’abandon laissé par le départ de nombreuses organisations humanitaires, Médecins Sans Frontières (MSF) a dû lancer deux opérations d’urgence, l’une contre le paludisme, l’autre contre le choléra. En trois mois, leurs équipes ont déjà soigné 19 000 cas de paludisme et pris en charge 652 malades du choléra.
Dans les couloirs humides de l’hôpital de Baraka, l’odeur des antiseptiques se mêle aux pleurs étouffés. Aline, assise sur un banc de bois, serre la main brûlante de sa fille Adelphine. La fillette lutte contre la malaria : frissons, fièvre, faiblesse extrême. « Nous n’avons plus accès à nos champs, tout est contrôlé par les groupes armés. Nous mangeons à peine », murmure Aline, essuyant la sueur sur le front de l’enfant. Ici, chaque fièvre peut devenir une menace de mort.
Dans cette région longtemps négligée par les programmes de prévention, MSF a ouvert cinq Points paludisme pour tester et traiter rapidement. Mais les moustiquaires manquent, les centres de santé sont débordés, et les coupes internationales ont réduit à néant le soutien au Programme national de lutte contre la malaria. Aujourd’hui, MSF est devenu faute d’alternative le principal fournisseur d’antipaludiques de Fizi.
Plus haut, dans les Hauts-Plateaux, la situation frôle le chaos. Là-bas, 57 000 personnes sont encerclées, piégées par les combats qui opposent FARDC, milices Wazalendo et Twigwaneho, dans un conflit interethnique ancien et brûlant. Aucun humanitaire ne peut y accéder. « Je suis très inquiète pour tous ceux qui restent isolés. Ils savent qu’il y a des soins, mais ils ne peuvent pas passer les checkpoints », explique Maria Santo, responsable médicale MSF.
Elle raconte l’arrivée récente d’un enfant de trois ans, ramené à pied par sa grand-mère : vingt kilomètres depuis Bibokoboko, sous la pluie, dans la boue, avec un paludisme déjà grave. « Quand ils arrivent, c’est souvent trop tard », souffle-t-elle. MSF prépare l’ouverture de cinq nouveaux Points paludisme, avec un seul objectif : rapprocher les soins des familles piégées par la guerre.
Sur les routes ravinées longeant le lac Tanganyika, la situation est tout aussi incertaine. Les pluies ont submergé plusieurs tronçons, coupant l’axe Bukavu–Uvira. Au-delà de Fizi, les zones les plus touchées sont devenues presque inatteignables. Même le matériel médical doit désormais traverser le Rwanda, la Tanzanie puis le Burundi avant d’arriver à Baraka. Un détour interminable qui ralentit l’arrivée des tests malaria, des antipaludiques et des kits d’hygiène indispensables contre le choléra.
Au centre de traitement de Baraka, la voix de Bokumba Fataki tremble encore. « J’étais au lac pour puiser de l’eau. Quand je suis revenue, mon fils était en train de vomir, très faible. Je croyais qu’il avait mangé quelque chose de sale… mais non, c’était le choléra. » L’eau potable est rare, les points de robinet s’assèchent, et les gens n’ont d’autre choix que de boire l’eau du lac ou des rivières.
Le Dr Christian Rajabu, rencontré à la sortie d’une salle de réhydratation, résume le problème : « Ici, tout commence par l’eau. Les infrastructures sont insuffisantes, les gestes d’hygiène peu connus, et les familles n’ont aucune alternative sûre. » Pour contenir l’épidémie, MSF a installé 31 points de chloration, restauré 13 pompes manuelles et multiplié les séances de sensibilisation. Résultat : en huit semaines, les cas ont chuté de 55 %. Une victoire fragile, mais une victoire tout de même.
À Fizi, le calme n’existe pas encore. Les combats, les déplacements, la faim et les maladies tissent une toile de détresse qui enferme les familles jour après jour. Mais au milieu de cette crise oubliée, les équipes de MSF persistent, sur les routes submergées comme dans les villages isolés, à offrir ce que beaucoup n’espéraient plus : une chance de survivre.


